Private Credit vs Private Equity : La guerre des rendements est-elle terminée ?
Private Credit vs Private Equity : La guerre des rendements est-elle terminée ?
Pendant des années, le private equity a régné en maître sur l'univers des investissements alternatifs, promettant des rendements supérieurs à deux chiffres aux investisseurs institutionnels en quête d'alpha. Mais depuis 2020, une nouvelle classe d'actifs lui fait de l'ombre : le private credit. Cette montée en puissance soulève une question fondamentale : assistons-nous à la fin de la suprématie du private equity ?
L'ascension fulgurante du private credit
Le private credit a connu une croissance spectaculaire ces dernières années. Selon les dernières données disponibles, les actifs sous gestion dans ce secteur ont dépassé les 1 500 milliards de dollars en 2024, soit une progression de plus de 300% depuis 2015. Cette explosion s'explique par plusieurs facteurs structurels.
D'abord, le retrait progressif des banques traditionnelles du financement des entreprises de taille moyenne, conséquence directe des réglementations post-2008. Cette situation a créé un vide que les fonds de private credit se sont empressés de combler, proposant des solutions de financement flexibles aux entreprises en croissance.
Ensuite, la recherche de rendements dans un environnement de taux historiquement bas a poussé les investisseurs institutionnels vers cette classe d'actifs. Avec des rendements nets typiques oscillant entre 8% et 12%, le private credit offrait une alternative séduisante aux obligations traditionnelles qui peinaient à dépasser les 3%.
Comparatif des performances : les chiffres parlent
Les performances historiques révèlent des écarts significatifs entre ces deux classes d'actifs. Sur les 10 dernières années, le private equity a délivré des rendements nets moyens de 13,2% annualisés selon Cambridge Associates, contre 9,8% pour le private credit. Cependant, cette surperformance s'accompagne d'une volatilité bien plus élevée.
Le ratio de Sharpe, indicateur clé du rendement ajusté du risque, favorise nettement le private credit (1,4 vs 0,9 pour le PE sur la période 2015-2024). Cette différence s'explique par la régularité des distributions du private credit, avec des cash-flows trimestriels prévisibles, contre des distributions sporadiques pour le private equity, concentrées sur les années de sortie.
Plus révélateur encore : le taux de perte en capital. Alors que le private credit affiche historiquement des taux de défaut inférieurs à 2% grâce à son rang senior et ses sûretés, le private equity peut voir jusqu'à 15-20% de ses investissements générer des pertes totales.
Profils de risque : deux philosophies d'investissement
Le private credit privilégie la préservation du capital avec un rendement régulier. Les fonds de dette directe ciblent des entreprises avec des cash-flows stables, exigent des covenants stricts et bénéficient de garanties. Le risque principal reste le défaut de l'emprunteur, mais les taux de récupération dépassent généralement 70%.
Le private equity mise sur la création de valeur transformationnelle. Les risques sont multiples : risque opérationnel (transformation de l'entreprise), risque de marché (conditions de sortie), risque de levier (endettement excessif), et risque de liquidité (blocage des capitaux sur 7-10 ans). En contrepartie, le potentiel de gains peut être considérable, avec des multiples de 3x à 5x sur les meilleurs investissements.
Allocation optimale pour un particulier
Pour un investisseur particulier disposant d'un patrimoine conséquent, l'allocation idéale pourrait s'articuler autour du modèle "50/30/20" popularisé par Larry Fink :
- 50% en actifs liquides (actions, obligations)
- 30% en actifs alternatifs (dont PE et private credit)
- 20% en actifs réels (immobilier, infrastructures)
Au sein des 30% d'alternatifs, la répartition optimale dépend du profil de risque :
Profil conservateur (55+ ans) : 70% private credit, 30% private equity
- Priorité aux revenus réguliers et préservation du capital
- Horizon de placement plus court
Profil équilibré (40-55 ans) : 50% private credit, 50% private equity
- Balance entre revenus et croissance du capital
- Horizon de placement moyen-long terme
Profil dynamique (moins de 40 ans) : 30% private credit, 70% private equity
- Recherche de performance maximale
- Capacité d'absorption des pertes temporaires
Solutions d'investissement accessibles en France
BNP Paribis Flexi I Senior Debt : Fonds nourricier accessible dès 125 000€, cible des entreprises européennes mid-market. Rendement historique : 7-9% net. Commission de gestion : 1,25% + 10% de performance au-delà de 5%.
Tikehau Income+ FCPR : Spécialisé dans le financement d'entreprises françaises et européennes. Ticket minimum : 100 000€. Performance nette visée : 8-10%. Distributions trimestrielles.
Amundi Private Debt : Stratégie unitranche européenne. Minimum 500 000€ pour les investisseurs qualifiés. Rendement cible : 9-11% brut
Solutions démocratisées via les contrats d'assurance-vie :
Plusieurs assureurs proposent désormais l'accès à ces fonds via des supports en unités de compte :
- Generali Patrimoine : Accès aux fonds Tikehau dès 50 000€
- Spirica Multisupport : Sélection de fonds private credit dès 30 000€
- AXA Patrimoine Vie : Plateforme dédiée aux alternatifs
Le private equity face à ses propres défis
Malgré cette démocratisation, le private equity traditionnel traverse une période de turbulences. Les valorisations élevées des dernières années ont considérablement réduit les opportunités d'investissement attractives. Quand un fonds doit payer 15 à 20 fois l'EBITDA pour acquérir une entreprise, les marges de manœuvre pour créer de la valeur se réduisent drastiquement.
L'environnement macroéconomique actuel n'arrange rien. Les taux d'intérêt plus élevés renchérissent le coût de l'effet de levier, pierre angulaire de nombreuses stratégies de private equity. Parallèlement, les sorties deviennent plus complexes, que ce soit via les introductions en bourse ou les ventes stratégiques.
Une complémentarité plutôt qu'une concurrence ?
Pourtant, présenter private credit et private equity comme deux adversaires irréconciliables serait réducteur. En réalité, ces deux univers entretiennent des relations de plus en plus symbiotiques.
De nombreux fonds de private equity ont développé des branches de private credit, reconnaissant l'intérêt de contrôler l'ensemble du cycle de financement de leurs participations. Cette intégration verticale leur permet de proposer des solutions complètes à leurs entreprises en portefeuille, tout en diversifiant leurs sources de revenus.
À l'inverse, certains fonds de private credit évoluent vers des stratégies hybrides, combinant dette et prise de participation minoritaire. Cette approche leur permet de capturer une partie de l'upside tout en conservant la sécurité relative du rang senior dans la structure de capital.
Les nouvelles règles du jeu
L'évolution des préférences des investisseurs institutionnels redéfinit également les équilibres. Les fonds de pension et compagnies d'assurance, confrontés à des passifs de long terme, apprécient la prévisibilité des cash-flows offerte par le private credit. Cette régularité contraste avec la volatilité inhérente aux distributions du private equity, tributaires des cycles de sorties.
Par ailleurs, l'émergence de nouvelles réglementations, notamment autour de Bâle III et Solvabilité II, favorise les investissements en dette privée au détriment d'expositions plus risquées. Cette tendance structurelle devrait perdurer et continuer à alimenter la croissance du private credit.
Vers une coexistence mature ?
Plutôt que d'assister à la victoire d'une classe d'actifs sur l'autre, nous entrons probablement dans une ère de spécialisation et de coexistence mature. Le private equity continuera d'attirer les investisseurs en quête de rendements élevés et disposés à accepter un niveau de risque correspondant. Le private credit séduira ceux privilégiant la régularité des revenus et une volatilité moindre.
Cette évolution s'accompagne d'une sophistication croissante des stratégies. Les fonds les plus performants ne se contentent plus de reproduire les recettes du passé mais innovent constamment : private equity secondaire, continuation funds, co-investments pour le PE ; unitranche, rescue financing, NAV lending pour le private credit.
Fiscalité et considérations pratiques
L'investissement via des FCPR bénéficie d'avantages fiscaux non négligeables :
- Réduction d'impôt : 25% du montant investi dans la limite de 12 000€ pour un célibataire (24 000€ pour un couple)
- Exonération de plus-values après 5 ans de détention
- Transmission facilitée avec abattement sur les droits de succession
Pour optimiser la fiscalité, privilégier :
- Les FCPR éligibles à la réduction d'IR pour une première allocation
- L'assurance-vie pour les montants plus importants (fiscalité dégressive)
- La holding patrimoniale pour les très gros patrimoines (report d'imposition)
Conclusion : Une guerre aux multiples fronts
La question initiale - la guerre des rendements est-elle terminée ? - appelle une réponse nuancée. Si la domination absolue du private equity appartient probablement au passé, cela ne signifie pas sa disparition. Les deux classes d'actifs évoluent vers une complémentarité croissante, chacune répondant à des besoins spécifiques des investisseurs.
L'enjeu pour les gérants d'actifs sera de naviguer dans cet écosystème de plus en plus complexe, en développant des expertises multiples et en adaptant leurs stratégies aux attentes évolutives de leurs investisseurs. Car au final, c'est peut-être là que se situe la véritable bataille : non pas entre private credit et private equity, mais entre ceux qui sauront s'adapter à ce nouvel environnement et ceux qui resteront figés dans les paradigmes du passé.